L'après-midi encore, Jehan avait une lame à la main et était en train de la passer sur une de ses meules. Le bruit que faisait l'épée en frottant sur le rond circulaire était frais, rassurant, si bien qu'il se plaisait à cet exercice même s'il aurait pu être, pour le commun des mortels, un peu ennuyant. Il rêvassait en pensant à la fête du soir et ce que les danses au coin du feu donneraient. Il se voyait déjà tourner avec une fille bien en chair et l'emmener, à la fin de la soirée, chez lui : ça, ça lui paraissait carrément évident.
Je ne vous apprendrais rien en vous disant que, le soir venu, la fête avait tourné au vinaigre. Il ne s'en était pas rendu compte tout de suite, n'ayant pas de marmot à charge, mais les cris d'avertissement, les appels des villageois angoissés environnants suffit à lui faire comprendre la réalité : les gosses avaient tous disparu. Sur le coup, il était vrai qu'on ne pensait pas tout de suite aux potentiels coupables : Jehan avait eu le réflexe de chercher sous quelques tables installées là pour l'occasion, de chercher avec les autres à la recherche des gosses. Bien sûr, il n'y avait eu aucun résultat probant, si ce n'était le fait qu'une angoisse s'installait, de plus en plus forte, dans le village.
Comprenant qu'ils allaient organiser une battue de fortune pour se mettre à les chercher, il partit rapidement en direction de sa boutique pour en sortir quelques armes, utiles pour se défendre, et une lanterne qu'il gardait toujours posée sur une étagère près de la porte de la buanderie.
C'était donc très brusquement que Jehan et quelques villageois s'étaient retrouvés, en pleine nuit, à l'extérieur du village. Ils entendaient de loin, parfois, les autres groupes appeler les enfants, par intermittence de plus en plus faible et la nuit semblait se refermer sur eux. S'il n'avait pas été soldat par le passé, le froid, la peur de l'inconnu et de toute bête sauvage qui risquait d'arriver l'aurait fait fuir en courant...là, c'était le contraire de ce qui se passait, et Jehan était à l'affût, serrant la fort la crosse du mousquet qu'il avait ramassé. La proximité d'un poignard et d'une épée tranchante, tous deux dans les fourreaux arrangés à sa ceinture, étaient aussi, ma foi, un brin rassurant.
« LES GOSSES!!! »
Criant ainsi, il avait alors l'impression de devenir une proie pour ce qu'il ne voyait pas. Il agita la lanterne devant eux, mais la forêt lui paraissait toujours plus sombre, de pas en pas.
